quinta-feira, novembro 21, 2013

207. "TRÁS-OS-MONTES" no "Le Monde"

[Estreia em Paris, 22 de Março de 1978] 

«TRAS OS MONTES» 

de Antonio Reis et Margarida Martins Cordeiro

Sur les terres, «par-delà les montagnes», au nord-est du Portugal, une civilisation agraire stagne et meurt lentement. L'émigration vers les villes et les pays étrangers a dépeuplé les villages où ne demeurent plus que des vieillards, des femmes et des enfants.

Comme jadis Bunuel avec las Hurdes d'Espagne, Antonio Reis et sa femme, Margarida Martins Cordeiro, ont réalisé un documentaire poétique de combat. Mais leur démarche, vis-à-vis de ce Portugal oublié, est différente. La révolte ne se traduit pas par le pamphlet social surréaliste. Elle jaillit de la confrontation entre la réalité actuelle et le souvenir mythique, entre le présent et le passé, entre la vie quotidienne et l'imaginaire.

Le documentaire poétique (Antonio Reis est, d'abord, un poète portugais) brise la narration classique, donne au reportage des allures de légende (interprétée par les vrais habitants de ces campagnes), ouvre les formes habituelles du langage cinématographique en plongeant dans l'espace géographique envoûtant des plaines, des lacs et des montagnes. Les images de ce film tourné en 16 millimètres sont d'une beauté confondante, sans que jamais l'esthétisme vienne effacer la signification historique et sociale de la vision.

«Tras os montes», c'est une région sous-développée, qui s'éloigne dans le temps comme cet homme simple point noir à l'infini d'un chemin. Dans un sursaut d'agonie, les coutumes, l'artisanat local, s'affirment encore comme les signes d'une culture populaire qu'il faudrait préserver. Quoi de plus émouvant que ce pêcheur au filet qui, dans le silence d'une nature majestueuse, tente d'apprendre à son jeune fils les gestes de son metier? Que le sifflet du train de l'émigration déchirant un paysage qui ne recouvre de nuit?

Assez mal accueilli, parfois, au Portugal (on l'a considéré comme «une injure faite au bon peuple de Tras os montes»; mais n'est-ce pas le langage poétique que déconcerte dans un pays où le fascisme avait tué le création cinématographique?), le film, révélation du Festival du jeune cinéma à Toulon en 1976, a suscité l'enthousiasme de Joris Ivens et de Jean Rouch. C'est bien, comme le dit Ivens, «une grande oeuvre d'art» où l'on devrait découvrir le splendide réveil d'un cinéma national.

Jacques Siclier

Jornal Le Monde, p. 18, 25 de Março de 1978.